Son destin s'est joué en Suisse il y a trente ansGenève, le 22 novembre 1974 à l'Hôtel de la Paix
MIKE BRANT Son destin s'est joué en Suisse il y a trente ansGenève, le 22 novembre 1974 à l'Hôtel de la Paix. Il est midi. Dans la chambre 508 du palace, face à la rade, le chanteur Mike Brant rend visite à son imprésario, Simon Waintrob. L'homme d'affaires, producteur et associé, est à la salle de bains. Soudain, il entend un cri. Il va découvrir le corps de son poulain. Gisant sur un balcon, deux étages plus bas, Mike Brant est grièvement blessé. La star de la chanson française vient de faire une tentative de suicide, la première. Il doit la vie sauve à sa bottine. Coincée dans la balustrade, la talonnette a freiné sa chute. Que s'est-il passé ce jour-là en Suisse, pour que le plus charismatique des artistes de sa génération tente de mettre fin à ses jours ? Aujourd'hui encore, trente ans après les faits, de nombreuses interrogations demeurent autour de cet artiste d'exception, qui vend toujours 100 000 albums par an depuis sa mort.A l'Hôpital cantonal de GenèveJuste après le drame et afin d'éviter les questions gênantes, Simon Waintrob ment à la police. Il ne parle pas de la discussion que les deux hommes auraient eue ce jour-là entre 10 h 30 et midi et qui aurait poussé à bout l'artiste fragilisé.Les journaux de l'époque accusent à demi-mot: « Pendant que Mike Brant lutte contre la mort, son imprésario lutte pour se nettoyer des soupçons dirigés contre lui. » La star a été emmenée à l'Hôpital cantonal de Genève. Elle y restera un mois. Sa jambe gauche est très abîmée. Son moral au plus bas.Mike Brant déclare à propos de sa tentative de suicide: « Je crois que ça va être la dernière fois, j'espère, oui … » Il dit que c'est « une connerie » et qu'il ne comprend pas « pourquoi il a fait ça ».Les médecins, eux, savent: Mike Brant est à bout. Tous ceux qui l'exploitent minimisent les faits. L'artiste est monté dans le train du succès, mais il ne sait pas où il va et, surtout, il ne sait plus comment arrêter cette machine infernale.Un marché de dupesA Genève, au service d'orthopédie, il écoute la radio et suit sa cote au hit-parade: « Qui pourra te dire » est en tête. En France, Mike Brant est un dieu vivant. Cheveux en cascade et rouflaquettes, chemise col « pelle à tarte » largement ouverte sur un torse orné de chaînettes et pantalons pattes d'eph, il est, jusqu'à la caricature, l'idéal masculin des années 1970. C'est le modèle dont rêvent tous les imprésarios.Simon Waintrob l'a compris. Profitant d'un renouvellement de contrat, ce requin du showbiz a fait monter les enchères. On propose 16% des recettes et 3,5 millions de francs français d'avance à Mike Brant ? Simon Waintrob, patron de WIP (Waintrob International Production), enchérit. Il offre 18% et 4,5 millions, payables sur cinq ans.Mike Brant est ébloui, aveuglé même. Il ne sait pas qu'il vient de passer un marché de dupes. Il signe un contrat, sans même savoir lire le français. Weintrob, malin, en a fait son associé à 50%. Plus tard, il lui expliquera qu'il ne peut pas le payer parce que WIP, « leur société », est en déficit.Mike Brant est fragile. Dans sa loge, il craque. Frappe du poing dans une commode et contre le miroir: « C'est trop dur d'être Mike Brant. Je ne veux pas être Mike Brant. Je ne peux pas être Mike Brant … »Très vite, les premiers signes de sa dépression apparaissent. Sur scène, il a des attaques de panique et s'arrête au milieu d'une chanson en mai 1974, après quatre chansons. Il faut annuler les quatre-vingts galas prévus.A Genève, l'idole est secrètement traitée en psychiatrie. C'est d'ailleurs le but de sa visite en Suisse: un check-up à Genolier. A sa sortie de clinique, il a le regard vague. Il ne parle plus. Il n'a pas supporté le cambriolage de son appartement et la disparition des bijoux de sa mère. Mike Brant a le sentiment d'être dépossédé de tout.Un million de quarante-cinqtoursMoshé Brand, le petit chanteur à la gueule d'ange et à la voix d'or n'en peut plus. Né à Chypre, il est devenu l'objet de toutes les convoitises. Fils de Bronia Rosenberg, rescapée du camp d'Auschwitz, et de Fichel Brand, maquisard polonais, il déclenche des scènes d'hystérie à chaque apparition.Pour lui, tout a commencé en 1968. Il est découvert à Téhéran, au Baccara Club, par Sylvie Vartan et Carlos. Son ascension sera fulgurante. Un séjour à Paris, une apparition au Midem en 1970, et le voilà satellisé.Chemise à jabot, redingote bleu foncé, il interprète « Laisse-moi t'aimer » et vend 1 million de quarante-cinq tours du jour au lendemain. Il lui faudra 260 séances de pre-recording. Mike Brant qui ne parle que l'hébreu chante phonétiquement en français.Sous antidépresseurs …En quatre ans, il enchaîne tube sur tube. « Qui saura », « Rien qu'une larme », « C'est ma prière ». Il compose aussi. Comment tenir avec une telle charge sur les épaules ? La cocaïne, peut-être. Mike Brant a fait retirer entre 25 000 et 30 000 dollars de l'époque sur son compte, juste avant son séjour en Suisse. A quoi sert cet argent ? La thèse de la drogue est formellement écartée par un ancien médecin de l'Hôpital de Genève, cité dans le documentaire d'Erez Laufer, intitulé « Laisse-moi t'aimer ». « Les médecins n'ont jamais mentionné un problème de drogue. Mike Brant refusait d'admettre qu'il devait prendre des médicaments. » Les antidépresseurs auraient eu des effets sur sa sexualité. « C'est pour cette raison qu'il a cessé les médicaments », confirme le médecin.Les spécialistes sont unanimes: s'il arrête le traitement, il est voué à la mort.Un séjour à la MétairieL'entourage de Mike Brant, qui décide trop tôt de le rapatrier à Paris, multiplie les erreurs. Mike Brant est assailli par les médias. Il craque. On le ramène en Suisse de toute urgence. A l'Hôpital cantonal de Genève, on lui fait remarquer qu'il ne s'agit plus d'un « problème orthopédique ». Le chanteur est dirigé vers la Clinique La Métairie, à Nyon. Son frère Zvi l'implore de le rejoindre en Israël. « Làbas, il y a des médecins qui savent soigner les problèmes de la génération des enfants des rescapés de l'Holocauste. » Dans la famille, sa mère ne s'est jamais livrée sur ses souffrances passées. « Mike appréciait cela, mais ça lui faisait mal, très mal, souligne son frère. A la maison, il planait toujours une ambiance triste, suffocante. Mike avait l'air très fort, mais il était très sensible. »Aux yeux de Simon Waintrob, Mike Brant est une machine à sous. Il lui doit deux quarante-cinq tours. A peine rentré à Paris, il est sommé d'entrer en studio. L'enregistrement de « Dis-lui », l'adaptation française de « Feelings », scelle la fin de sa carrière. Le 25 avril 1975, cinq mois après l'épisode genevois, Mike Brant se jette de la terrasse de son appartement du 6, rue Erlanger. Il fait une chute de 20 mètres et meurt sur le coup. Ceux qui viennent reconnaître son corps à l'Hôpital Ambroise-Paré témoignent: « Il avait la tête d'un ange, on ne l'avait jamais vu aussi serein. » Dans la rue, 25 000 personnes accompagnent son cercueil, qui part pour Haïfa. Le single se vend à 1,5 million d'exemplaires. Deux ans plus tard, Simon Waintrob est retrouvé mort à son tour. Une balle dans la tête et une autre dans le c½ur. La police conclura à un suicide.Mike Brant, « Laisse-moi t'aimer
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